L'art de l'anecdote et Félix Fénéon

L'anecdote

L’anecdote, le petit fait, l’historiette, le fait divers, la nouvelle sont des genres cousins, dont la brièveté est la matrice et la raison d’être.

Les riches Romains déjà envoyaient leurs esclaves sur les marchés pour collecter les dernières nouvelles. À la source, le besoin de savoir et de se distraire.

L’anecdote, c’est étymologiquement ce qui n’est pas encore publié. Des paroles qui bruissent, qui interpellent, interloquent, saisissent. Il y a un art de l’anecdote, de la petite forme : efficace, ramassée, affûtée, on la dit en quelques mots. C’est l’art de captiver et de tenir son auditoire ou son lectorat dans le creux de la main.

Il existe une continuité entre l’anecdote et la nouvelle. Racontée dans un cercle amical puis enjolivée, déformée, exagérée, augmentée, l’anecdote vole de bouche en bouche, d'autant plus vite qu’elle est drôle, saisissante, surprenante, inédite. Elle peut facilement devenir rumeur, se répandre et se diffuser, dépasser son cercle initial, jusqu’à devenir nouvelle. À la fois information ignorée jusqu'alors et aussi, souvent, petite histoire, petit conte, la nouvelle a un pied dans la fiction, l’autre dans la réalité. Elle va de fait diverger en deux directions distinctes : la presse, où elle peut prendre la forme du fait divers, et la littérature, où elle devient un genre à part entière.


Félix Fénéon

Qui est Félix Fénéon, l’auteur oublié des nouvelles en trois lignes ?

Un avant-gardiste, un dandy et un écorché vif. C'est à la jointure de la littérature et de la presse que l'on trouve ce personnage haut en couleurs, aussi savoureux qu’un bon second rôle au cinéma.

Cet anarchiste libertaire a d’abord brillé comme champion des rapports administratifs au ministère de la Guerre, puis il a connu des démêlés judiciaires. Accusé d’attentat, sa défense sera : « Je ne lance de bombes, que littéraires… ». Une figure qui n’est pas à un paradoxe près.

Grand critique d’art, directeur de galerie, il écrit brièvement au Matin au début du XXe siècle. Il est aussi prodigue de ses critiques d’art qu’économe de sa prose littéraire. On peut le voir de profil sur un célèbre tableau de Signac.

Il reste dans l’histoire des lettres pour ses Nouvelles en trois lignes qui reprennent ses articles du Matin. Fénéon y est limité à 135 signes typographiques. Comme souvent, de la contrainte naissent des chefs-d’œuvre atypiques, comme leur auteur… Pourrait-on parler de pointillisme littéraire au sujet de ce grand défenseur du peintre Georges Seurat ?

Ces petits textes étaient au départ des dépêches de dernière minute qui n’avaient pu trouver place dans le journal faute de place et de temps. Des textes glacés et brûlants, ironiques, pince-sans-rire. En tant que lecteur, on a honte de jubiler de ce style coup de poing, de cette brutalité travaillée et affûtée. On y retrouve une radicalité réjouissante, sur le fond dans le manque d’empathie pour les malheureux du jour, et sur la forme dans la condensation extrême. Ce sont des histoires intensément distillées, mariant de façon inédite fait divers et création littéraire.

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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